Le chaînon manquant de la gauche

Retrouvez ma tribune du 25 juin 2010 parue dans le quotidien libération.

Comment imaginer un projet de gauche en période de crise profonde et de déficits publics, alors que les défis écologiques impliquent de modifier nos manières de produire et de penser le progrès ? C’est aujourd’hui le dilemme de la gauche de gouvernement. La question s’était déjà posée, sans être résolue, en 1983, au tournant de la rigueur. La recherche d’un nouveau modèle économique la rend plus aiguë et crée une nouvelle fois un écart entre vision et raison. C’est ce que reflète le projet politique mis sur la table par Pierre Moscovici au nom du Parti socialiste. S’il reconnaît la nécessité de passer à une autre vision, en intégrant l’écologie… il n’en décrit pas la réalisation. L’avenir apparaît si sombre qu’on n’ose le peindre en rose. Le projet national va-t-il se réduire à la conservation du triple A ?

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Les contours d’un projet de gauche sont identifiés : affronter les enjeux de l’emploi, de l’éducation et de la formation, réhabiliter les temps longs dans l’économie, reconstruire le système industriel, organiser la reconnaissance de l’innovation sans augmenter les exclus, revenir à une agriculture respectueuse de l’environnement, modifier la gestion de l’UE, imaginer une régulation internationale. Mais la situation sociale crée une nécessité : il faut penser la transition d’un modèle à l’autre. C’est le chaînon manquant de la gauche.

Deux ans avant l’échéance, plutôt qu’à définir leurs actes concrets à venir, les challengers du pouvoir mettent en avant les valeurs – le care, la solidarité, l’humanité, la fraternité – pour convaincre de voter pour eux. Sans précision des modalités d’un passage à l’acte, le débat sur le projet ne peut prendre de poids politique. La crise, les réflexes cyclothymiques qu’elle crée (à une journée d’angoisse succède l’euphorie des marchés puis les annonces d’austérité) rendent angoissante la perspective d’une transformation de nos vies. Plus d’humanité peut-elle coïncider avec moins de croissance ? Recréer de l’emploi passe-t-il par une baisse de la productivité ? Faut-il donner comme horizon à nos enfants mais aussi à l’Afrique ou à l’Inde, la frugalité ? Chacun perçoit ce qu’il a à perdre – la croissance, la productivité, le confort – sans identifier ce qu’il va gagner. Penser la transition c’est rendre l’avenir visible, et surtout enviable ; mais cela suppose de définir précisément ce que l’on veut faire.

Le travail politique des associations, sur l’immigration, les libertés publiques, la démocratie locale, illustre la méthode qui pourrait être suivie dans les partis. Après des décennies de débats autour de la bonne ou la mauvaise gestion, sur les valeurs et les concepts, c’est l’ordre des facteurs même qui doit être inversé : la (bonne) gestion doit découler d’une analyse de l’écart entre les valeurs affichées et la réalité des vies et des pratiques, et les valeurs être réinscrites dans la gestion et les politiques publiques. Les choix politiques de correction des inégalités qu’on a laissé complaisamment s’installer, la construction d’espaces communs, la responsabilité des élites publiques et privées aujourd’hui réduites à des clubs de cooptation sont trois chantiers prioritaires. Quant au sujet de l’individualisme, pomme de discorde entre la gauche et la droite, il ne peut être traité que dans le cadre d’une société où les choix existent et où l’argent aura été remis à sa juste position : sa place actuelle, exorbitante, est aussi un symptôme de l’angoisse qui étreint chacun quand il essaie de se projeter au-delà des dix années à venir ou imagine la vie de ses enfants.

L’élaboration «hors sol» des projets politiques contribue à alimenter l’abstention. Les élus en prise avec le réel ne sont pas censés, sauf à la marge, débattre et définir un projet politique national. Dans les appareils des partis, on court après les idées comme si leur production relevait d’une sorte d’abstraite magie, les experts et chercheurs sont sollicités par tous les bords comme des consultants de la pensée, on mouline ensuite ces idées pour établir des synthèses acceptables. Tout cela aboutit à des projets politiques insipides, figures obligées du processus électoral qui comptent peu dans le résultat final. C’est ce que pressentent les citoyens lorsqu’ils refont de la politique dans les associations. Beaucoup votent avec leurs pieds. Pour les jeunes, pour ceux qui subissent les angoisses de la précarité, accomplir son devoir électoral s’apparente au mieux à une corvée, au pire renforce le sentiment d’exclusion sociale. On vote pour ou contre une gestion, on vote aussi contre la disparition de ce qui protège ou rassemble encore. Mais depuis combien de temps n’a-t-on plus voté pour les idées, avec enthousiasme ?

Il n’existe pas ou plus de thaumaturges du projet politique. Le poids du projet, sa consistance dépendent désormais de la capacité des candidats d’allier la vision et le concret, d’illustrer dans ce projet même ses possibilités de réalisation, de décrire comment le faire et avec qui le mettre en œuvre. En 2012 il n’y aura pas de personne providentielle. Mais dans l’ordre un projet, une équipe, et une personne.

3 Réponses to “Le chaînon manquant de la gauche”


  1. 1 Bruno QUESTEL 11 septembre 2010 à 10:41

    Partir d’une alerte Goggle sur le département de l’Eure pour arriver sur ton blog !
    J’espère que tout va bien.
    Cordial Souvenir
    Bruno

  2. 2 brestou 23 septembre 2010 à 12:08

    Et bien Mme Schmid, vous valez pas mieux que M Lefebvre! Vous n’êtes plus conseillère régionale!
    C’est de l’usurpation de titre. Vous êtes vous aussi passible d’un an de prison.


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